Matthieu Chamagne / création contemporaine
pièce électroacoustique pour trois interprètes et dispositif interactif de captation gestuelle
Pièce électroacoustique pour trois interprètes et dispositif interactif de captation gestuelle, commandée par l'Ensemble XXI.n.
Création le 15 mai 2016 au festival Musique Action 2016 – CCAM – scène nationale de Vandœuvre-lès-Nancy, interprétée par Yannick Herpain, Michel Deltruc et Julien Bogenschutz.
L'article qui suit est intégralement issu du site personnel du compositeur, Mathieu Chamagne :
Cette collaboration avec l’ensemble XXI.n me permet de prolonger le travail que je poursuis depuis plusieurs années, questionnant le sens et du rôle du geste musical dans l’interprétation live de la musique électronique, en particulier depuis 2014 avec le dispositif Apertures. Cette nouvelle création prend la forme d’une composition pour trois interprètes, mettant en oeuvre un dispositif de captation gestuelle innovant, et explorant de nouvelles formes d’écriture interactive.
Déjà expérimenté et exploité dans diverses situations : installation sonore interactive, performances solo, pièce « Speakers » (Hervé Birolini, Mathieu Chamagne, Aurore Gruel – création 2015), et divers ateliers pédagogiques, le dispositif Apertures explore et questionne la frontière entre lutherie numérique et installation interactive.
À travers ces différents projets, j’ai pu réaliser que ce travail sur la captation et l’interprétation du geste musical, déconnecté de tout support tangible, ouvre de nouveaux horizons sur l’interprétation « live » de la musique électronique et électroacoustique.
Le geste musicale se retrouve au cœur du propos. Quel sens et quel rôle lui donner dans une musique dont les sons, au moment de l’interprétation, sont exclusivement générés par un dispositif purement électronique et informatique, n’ayant pas de forme physique prédéterminée ?
L’interface / instrument n’impose plus ses limites, puisqu’il peut ici changer de forme, être modelé et s’adapter à chaque situation musicale. Le geste musical n’est plus contraint par l’instrument, il devient un choix, et s’inscrit dans le processus d’écriture.
Ce dispositif a atteint un niveau de réactivité et de précision permettant de capter extrêmement finement toutes les nuances des gestes d’un musicien, mettant en exergue sa sensibilité et sa personnalité.
Cette nouvelle étape va me permettre de prolonger cette exploration, avec cette fois 3 interprètes et improvisateurs talentueux, 3 musiciens multi-instrumentistes qui auront à s’approprier ce nouvel instrument polymorphe, forts de leurs expériences et sensibilités respectives.
Je suis convaincu que la personnalité d’un musicien peut transparaître quel que soit l’instrument qu’on lui met entre les mains… a fortiori quand l’instrument a disparu !
Cette nouvelle lutherie numérique nous permet de jouer en temps réel d’un dispositif électroacoustique avec une souplesse, une précision et une liberté encore rarement exploités.
Ce titre évoque bien sur les cadres d’Apertures, mais aussi des cadres dans le sens « environnements » ou « contextes » dans lesquels les musiciens sont placés dans cette pièce.
Le dispositif ainsi que le processus compositionnel leur offrent des situations de jeu dans lesquels ils peuvent interpréter et improviser avec liberté et sensibilité.
Une majorité des matériaux sonores qui servirons de base à la construction de ces instruments sont issus des 3 musiciens eux mêmes.
Chacun des 3 musiciens est face à un cadre Apertures (dispositif de captation gestuel) et dispose également d’un écran tactile individuel permettant d’afficher en temps réel des informations sur son instrument, de contrôler la captation gestuelle en visualisant les positions des mains et des objets sonores.
L’écran peut également afficher une partition, un guide, représentant des repères spatiaux, des indications, des consignes de jeu…
Les cadres définissent les limites d’un volume dans lequel les mains et les doigts sont captés, les gestes sont analysés et interprétés, pour entrer en interaction avec un paysage d’objets sonores virtuels.
Chaque objet a une forme et une position spécifique dans le cadre.
Ils ont chacun leurs timbres, leur techniques de synthèse et de spatialisation propre, ainsi que des modes de jeu associés.
Chaque objet est conçu pour être joué d’une façon différente.
Certains sont comme des percussions, qu’il faut frapper ou exciter, d’autres vont réagir aux postures des mains et des doigts, ou encore analyser les trajectoires parcourues, …
Certains de ces objets seront créés à partir de matériaux sonores issus des musiciens eux mêmes jouant sur leurs instruments de prédilection. Des sonorités acoustiques, mais articulées et modulées par de nouveaux gestes, des sortes de portraits musicaux interactifs des musiciens eux mêmes, les cadres jouant ici le rôle de miroirs déformants, augmentant les possibilités de chaque instrument, autorisant démultiplications, transpositions et transformations hors normes.
Cette première étape consiste donc à constituer une collection d’« objets sonores », à les éprouver en condition de jeu, à les façonner sur mesure pour chaque musicien, pour parvenir à une jouabilité optimale. Chaque objet est comme un nouvel instrument, de complexité variable, que chaque musicien doit s’approprier.
plusieurs objets peuvent être assemblés / juxtaposés / superposés à l’intérieur de chaque cadre, constituants ainsi des instruments complexes et polyphoniques.
Ces assemblages sont mis à disposition des interprètes, à la manière d’une palette.
Chaque cadre contient une disposition d’objets qui lui est propre, l’ensemble formant une sculpture sonore invisible, tridimensionnelle, donnée à explorer aux 3 interprètes.
Cette composition spatiale d’objets sonores n’est pas figée : elle évolue et se transforme au fil du temps. Les objets peuvent apparaître et disparaître, se déplacer, changer de forme,…
Il n’y a donc pas une seule « sculpture », mais plutôt toute une série d’états, de « scènes » différentes qui vont se succéder, se tuiler, se fondre les unes dans le autres, ou être rappelées à la demande, comme un instrument qui pourrait changer de forme et de timbre au fil du temps, créant ainsi la structure temporelle de la pièce.
Les musiciens connaissent en temps réel quels objets sont à leur disposition dans leur espace de jeu respectif, et comment ils sont disposés. (indications sur écran de contrôle, retour lumineux et vidéo, …)
Chaque scène est un nouvel univers sonore à parcourir : matières concrètes à manipuler, bribes d’instruments et fragments électroacoustiques à ré-assembler, paysages et lieux imaginaires à visiter, …
Ces objets invisibles n’existent que lorsqu’ils sont joués…
Les matériaux sonores sont préparés, pré-composés, disposés dans l’espace de jeu, ce sont les interprètes qui vont les révéler et leur donner une temporalité.
Dans cette forme de composition, le temps est en quelque sorte écrit dans l’espace.
Les gestes des musiciens peuvent être écrits (à la manière d’une partition chorégraphique), il peuvent être guidés précisément (à l’aide d’une représentation graphique temps réel affiché sur écran de contrôle, ou projeté sur le cadre lui même), ou plus librement (en proposant des consignes de mode de jeu, laissant une plus grande part à l’interprétation).
Les musiciens peuvent également par moments improviser librement avec les objets sonores disponibles.
« Frames » est une forme compositionnelle ouverte, qui par delà un dispositif complexe et innovant, laisse une place importante à l’interprétation et l’improvisation, au service d’une musique électronique vivante et sensible.